Sept réflexions sur notre temps | Seven questions about our time

J'aborde rarement des sujets de ce calibre. Cependant, hier, en entendant les nouvelles du discours de Poutine et le chaos déclenché, en plus de la consternation et de la peur d'une nouvelle guerre totale, je ne peux m'empêcher de me demander comment nous en sommes arrivés là. 7 questions auxquelles j'ai essayé d'apporter mes réponses et réflexions personnelles.

• 1. Comment est-il possible que des êtres humains soient aujourd'hui capables d'une telle violence et de tels mensonges ?

Tout citoyen sensé et sensible de notre village mondial a aujourd'hui le devoir de se demander comment un tel niveau d'inhumanité est possible au cœur de l'Europe du XXIe siècle. Chacun de nous doit avoir le courage de répondre à cette question : notre avenir l'exige, si nous voulons qu'il soit différent de notre présent.

• 2. Quelles ont été les étapes du voyage idéologique du monde moderne qui ont conduit à ce conflit ?

Identifier les causes de la crise actuelle devrait être la mission principale de la politique occidentale. Cette guerre n'a rien de soudain, si ce n'est l'étonnement de ceux qui ne connaissent pas, ou n'ont pas su interpréter l'histoire moderne de l'Europe de l'Est.

• 3. Il a fallu plus de deux mois à partir du début du conflit pour que le secrétaire général des Nations unies rencontre les présidents de la Fédération de Russie et de l'Ukraine. L'invasion de l'Ukraine a commencé le 24 février 2022 : n'était-ce pas le moment pour l'ONU d'exiger de son Secrétaire général qu'il appelle au cessez-le-feu et rencontre les dirigeants des deux nations belligérantes (de facto) ?

Le système politique international qui a émergé au lendemain des deux guerres mondiales s'avère plus faible aujourd'hui. Il est indispensable d'ouvrir une vaste réflexion internationale sur la manière de "refonder" l'ONU, qui, comme nous l'avons éminemment constaté, est aujourd'hui totalement inadaptée pour remplir les fonctions pour lesquelles elle a été créée il y a près de quatre-vingts ans. Pour comprendre les contradictions absurdes de ce système, il suffit de rappeler qu'en son cœur réside aujourd'hui l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, qui viole systématiquement le statut qu'il est pourtant chargé de protéger (et il n'est pas le seul à le faire). La préparation d'une consultation internationale pour un système multilatéral plus moderne et plus représentatif dans un monde globalisé mais conflictuel sera de plus en plus cruciale pour préparer un avenir pacifique.

• 4. Où avons-nous fait fausse route ?

Cette guerre est bien plus qu'une menace pour certaines sphères d'influence. C'est la nature même de notre humanité commune qui est menacée. Les illusions qui sont apparues depuis la fin de la guerre froide ont redéfini la culture occidentale. Les gouvernements ont oublié que la valeur fondamentale de toute institution démocratique est de protéger la vie humaine et de garantir un environnement de libre choix qui favorise la pleine réalisation du potentiel de chaque existence. De plus en plus, depuis la fin du siècle dernier, cet engagement a été miné par des préoccupations d'hégémonie politique, quand ce n'est pas d'intérêts économiques brutaux.

• 5. Quelles sont les valeurs et les responsabilités éthiques qui inspirent la culture occidentale ?

Les idéologies autoritaires ne tolèrent pas le caractère sacré de l'autonomie de vie de l'individu. Notre liberté et notre dignité confèrent une valeur morale à nos actions, ce qui nous rend éthiquement responsables. Dans ces sociétés, assumer la responsabilité individuelle de ses actes n'est pas indispensable. C'est la raison pour laquelle il est facilement possible pour un officier pilote de larguer une bombe sur un hôpital. Il existe toujours une autorité supérieure respectable qui indique comment agir et quand qualifier une action de bonne ou de mauvaise. Dans ce cas, la qualité morale des actions individuelles est déterminée par le niveau de correspondance à l'autorité, plutôt que par les principes moraux de l'individu qui effectue ces actions.

• 6. Qui est responsable et quelles sont les conséquences à long terme ?

Dans un contexte comme celui-ci, il est courant de se donner bonne conscience en attribuant toute la responsabilité à Poutine. En réalité, la grande majorité de tous ceux qui soutiennent son leadership sont également coupables. Il en va de même pour tous ceux qui n'ont pas fait grand-chose pour empêcher cette guerre, ou qui ont entretenu des relations d'intérêt douteuses avec les dirigeants russes. Il en va de même pour tous les dirigeants politiques qui ont manqué d'imagination diplomatique pour formuler une stratégie de cooptation efficace susceptible de frustrer les fantômes de Poutine. Il est également nécessaire de reconnaître sans hésitation qu'il n'y a jamais eu de raison convaincante pour cette guerre (si jamais une guerre pouvait se vanter d'avoir des raisons moralement plausibles). L'armée russe elle-même n'a jamais été inspirée par un véritable sens de la mission en Ukraine, le genre de passion idéale profonde qui permet à une armée de gagner une guerre. C'est aussi l'une des raisons de la débâcle subie par l'armée russe jusqu'à présent.
Dans l'intervalle, il est très probable que les investissements militaires des pays occidentaux continueront à croître de manière exponentielle. Les ressources utilisées pour l'achat d'armes sont celles qui ne seront pas allouées aux domaines de la santé, de l'éducation, du logement et de la protection de l'environnement. C'est le dommage le moins visible mais le plus dommageable de cette guerre, qui renverse implicitement une tendance à la hausse du développement humain, acquise au prix de nombreuses années de lutte. La paix n'est pas seulement l'absence de guerre. C'est la garantie que tout le monde aura quelque chose à manger. Pour des millions de personnes, ce n'est pas encore la réalité, et pas seulement en Ukraine. L'une des conséquences certaines de cette guerre est que la reconfiguration des budgets des États rendra plus difficile la satisfaction des droits et des besoins de ceux qui sont déjà les plus défavorisés et qui, oubliés, pourraient devenir la principale source d'instabilité et de conflits futurs. Regarder cette guerre avec horreur et se préparer en même temps à d'autres conflits ne contribuera certainement pas à ce que les grands défis que sont le changement climatique, la pauvreté, les inégalités et le sous-développement puissent enfin être relevés avec succès.

• 7. Quelle sera la détermination de chacun d'entre nous, individuellement, à lutter non seulement pour l'Ukraine, mais surtout pour un monde différent de celui imaginé par ceux qui ont voulu une guerre insensée ?

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I rarely deal with topics of this calibre. However, yesterday, on hearing the news of Putin's speech and the chaos unleashed, in addition to the dismay and fear of a new total war, I cannot help but wonder how we got to this point. 7 questions to which I have tried to give my personal answers and reflections.

• 1. How is it possible that human beings today are capable of so much violence and lies?

Every sensible and sensitive citizen of our global village today has a duty to ask and wonder, how such a level of inhumanity is possible in the heart of 21st century Europe. Each of us must have the courage to answer this question: our future demands it, if we are to ensure that it is different from our present.

• 2. What were the stations in the modern world's ideological journey that led to this conflict?

Identifying the causes of the current crisis should be the main mission of western politics. There is nothing sudden about this war, apart from the astonishment of those who do not know, or have not been able to interpret the modern history of Eastern Europe.

• 3. It took more than two months from the start of the conflict for the UN Secretary-General to meet with the presidents of the Russian Federation and Ukraina. The invasion of Ukraina began on 24 February 2022: was that not the time for the UN to demand that its Secretary-General call a ceasefire and meet with the leaders of the two (de facto) warring nations?

The international political system that emerged in the aftermath of the two world wars proves weaker today. It is essential to open an extensive international reflection on how to 'refound' the UN, which as we have eminently observed, is today totally inadequate to fulfil the functions for which it was created almost eighty years ago. To understand the absurd contradictions of this system, we need only recall that at its heart today resides one of the five permanent members of the Security Council, who systematically violates the statute that he is actually responsible for protecting (and he is not alone in doing so). Preparing an international consultation for a more modern and representative multilateral system in a globalised but conflict-ridden world will be increasingly crucial to preparing a peaceful future.

• 4. Where did we go wrong?

This war is much more than a threat to certain spheres of influence. It is the very nature of our common humanity that is under threat. The illusions that have emerged since the end of the Cold War have redefined Western culture. Governments have forgotten that the core value of any democratic institution is to protect human life and ensure an environment of free choice that fosters the full realisation of the potential of every existence. Increasingly, since the end of the last century, this commitment has been undermined by concerns of political hegemony, when not of brutal economic interests.

• 5. What are the values and ethical responsibilities that inspire Western culture?

Authoritarian ideologies do not tolerate the sacredness of the individual's autonomy of life. Our freedom and dignity place a moral value on our actions, making us ethically responsible. In such societies, taking individual responsibility for one's acts is not indispensable. This is the reason why it is easily possible for a pilot officer to drop a bomb on a hospital. There is always a respectable higher authority that indicates how to act and when to call an action right and when to call it wrong. In such a case, the moral quality of individual actions is determined by the level of correspondence to authority, rather than by the moral principles of the individual performing those actions.

• 6. Who is responsible and what are the long-term consequences?

In a context like the present, it is common to clear one's conscience by attributing all responsibility to Putin. In reality, the vast majority of all those who support his leadership are equally guilty. So are all those who did very little to prevent this war, or cultivated dubious relationships of interest with the Russian leadership. So are all those political leaders who lacked diplomatic imagination in formulating an effective co-optation strategy that could frustrate Putin's ghosts. It is equally necessary to acknowledge without hesitation that there has never been a persuasive reason for this war (if ever a war could boast of morally plausible reasons). The Russian army itself was never inspired by a true sense of mission in Ukraina, the kind of deep ideal passion that enables an army to win a war. This is also one of the reasons for the debacle suffered by the Russian army so far.
In the meantime, it is very likely that the military investments of Western countries will continue to grow exponentially. The resources used for arms procurement are those that will not be allocated to the areas of health, education, housing, and environmental protection. This is the least visible but most damaging harm of this war, which implicitly reverses an upward trend of human development, earned through many years of struggle. Peace is not merely the absence of war. It is the security that everyone will have something to eat. For millions of people this is not yet the reality, and not only in Ukraine. One of the certain consequences of this war is that the reconfiguration of state budgets will make it more difficult to meet the rights and needs of those who are already most disadvantaged and who, forgotten, could become the main source of future instability and conflict. Watching this war in horror and preparing for further conflicts at the same time, will certainly not help that the great challenges of climate change, poverty, inequality and underdevelopment can finally be successfully addressed.

• 7. What will be the determination of each and every one of us, individually, to fight not only for Ukraina, but above all for a world different from the one imagined by those who wanted a senseless war?

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Photo credits: Unsplash.com | Jana Leu | photo released free to use